FRESNEL Augustin

(1788 - 1827)

La physique du XVIIIe siècle était restée fidèle à l’hypothèse newtonienne de l’émission: la lumière est due à des corpuscules émis par la source, leurs trajectoires constituant les rayons lumineux. En introduisant l’hypothèse ondulatoire dans l’interprétation de la diffraction, le physicien français Fresnel provoque l’effondrement de cette théorie, malgré de vigoureuses résistances (celle de J.-B. Biot, en particulier), qui se prolongeront au cours du XIXe siècle, et ouvre la voie à l’unification de l’optique.

Si l’histoire des sciences considère, à juste titre, Fresnel comme le fondateur de l’optique moderne, elle retient aussi ses travaux en vue d’une interprétation mécaniste de la lumière, ses études sur l’optique des corps en mouvement, ses travaux en optique cristalline. Mais on oublie parfois sa contribution remarquable à l’équipement des phares, par la mise au point de la lentille à échelons. Recherches spéculatives et applications pratiques se partagent en effet la brève carrière de Fresnel.

Un ingénieur passionné de recherche

Né à Chambrais, aujourd’hui Broglie, en Normandie, Augustin Fresnel, après des études à l’École centrale de Caen, entre en 1804 à l’École polytechnique (un an après François Arago, un an avant Augustin Cauchy). Confié à M. Hassenfratz, l’enseignement de la physique que Fresnel y reçoit n’a malheureusement ni l’ampleur ni la qualité de celui qui est donné en mathématiques, en particulier par Sylvestre Lacroix, Gaspard Monge et Denis Poisson.

En 1806, il est affecté au corps des Ponts et Chaussées; il occupe successivement plusieurs postes (en Vendée, à Nyons dans la Drôme), où, en dépit de la solitude intellectuelle dans laquelle il vit, Fresnel entreprend des travaux scientifiques, notamment en optique. Contraint, pendant les Cent-Jours, à résider dans la propriété familiale de Mathieu, en Normandie – Fresnel s’était joint à une petite armée qui devait s’opposer au retour de Napoléon – il est ensuite réintégré dans le corps des Ponts et Chaussées, et, dès 1818, définitivement affecté à Paris. En 1819, il reçoit le prix décerné par l’Académie des sciences pour un mémoire sur la diffraction qu’il venait de déposer; la même année, il entre dans le Service des phares.

Sans renoncer à ses activités professionnelles, toujours soutenu par l’amitié d’Arago, Fresnel, devenu membre, en 1823, de l’Académie des sciences, poursuit, jusqu’à sa mort, à Paris, à l’âge de trente-neuf ans, de très nombreuses recherches dans plusieurs domaines de l’optique.

De l’optique ondulatoire à l’hypothèse des vibrations transversales

Dans les premières années du XIXe siècle, Thomas Young (1773-1829) est encore à peu près le seul à se livrer à une critique pénétrante, quoique assez brouillonne, des idées newtoniennes qui avaient dominé l’histoire de l’optique du XVIIIe siècle et à suggérer un retour à l’hypothèse des ondulations, brillamment mise en valeur, au XVIIe siècle, par Christian Huygens.

Fresnel, sans connaître les derniers travaux de Young, entreprend, à partir de 1814, une série d’expériences sur la diffraction de la lumière. Sceptique à l’égard de la théorie newtonienne, il fait appel, avec une belle hardiesse, à la notion de "longueur d’ondulations" – appelée aujourd’hui "longueur d’onde" – et applique le principe des "intersections de ces ondulations" – nous dirions "vibrations" – se propageant suivant les rayons lumineux.

Des points de l’onde sphérique lumineuse, émise par une source ponctuelle et arrêtée par le bord d’un écran, sont issus les rayons diffractés; en un point de rencontre de deux rayons diffractés, on peut évaluer la différence des longueurs parcourues par la lumière, sur chacun de ces rayons, depuis leurs origines respectives prises sur l’onde: suivant que cette différence est égale à un nombre pair ou impair de demi-longueurs d’onde, les effets des deux rayons se cumulent ou s’annulent. Par le calcul, Fresnel parvient, après division de l’onde lumineuse incidente en ondes élémentaires, à évaluer, en un point pris dans la zone de diffraction, la somme des contributions de ces ondes partielles, c’est-à-dire l’intensité de la vibration résultante: ce sont les célèbres intégrales de Fresnel. Le mathématicien Denis Poisson (1781-1840) ayant déduit de ces calculs que le centre de l’ombre d’un petit disque circulaire doit être un point brillant, Fresnel lui apporte la confirmation expérimentale de cette prévision.

En montrant que le mouvement transmis par une onde sphérique se détruit partiellement par interférences, il a également su écarter l’objection déjà faite à Huygens, à savoir que la théorie ondulatoire ne permettait pas d’expliquer la propagation rectiligne de la lumière; l’optique ondulatoire était vraiment née.

Mais déjà Fresnel songe à étendre au phénomène de la polarisation le champ d’application de ces conceptions; l’étude des couleurs des lames cristallines lui permettra de poser l’hypothèse des vibrations transversales; jusqu’alors, il a seulement envisagé des vibrations longitudinales se produisant suivant la direction des rayons lumineux. En 1811, Arago a découvert la polarisation chromatique: des teintes complémentaires apparaissent quand la lumière, transmise par une lame cristalline éclairée avec de la lumière polarisée, traverse ensuite un analyseur.

Pour Fresnel, il existe une profonde analogie entre les couleurs des lames minces et les teintes des lames cristallines: dans le premier cas, il s’agit d’interférences en lumière naturelle, dans le second cas, d’interférences en lumière polarisée. Il est donc nécessaire de déterminer, d’abord, à l’aide d’une expérience "directe", les conditions d’interférences en lumière polarisée: deux fentes voisines et parallèles, F1 et F2, sont percées dans un petit écran; en éclairant la fente F1 par un premier faisceau polarisé, la fente F2 par un second faisceau polarisé, dont le plan d’incidence est à l’angle droit du premier, Arago et Fresnel s’assurent qu’aucune frange n’est observée; si les deux faisceaux sont polarisés dans le même sens, les franges apparaissent.

Fresnel – non sans hésitation – substitue alors aux vibrations longitudinales des vibrations transversales, qui, sans remettre en cause l’explication qu’il a déjà donnée de la diffraction, lui permettront une interprétation cohérente et complète de tous les phénomènes observés en lumière polarisée.

La théorie de l’éther et l’interprétation mécaniste de la lumière

Fresnel doit alors expliquer la propagation des vibrations transversales; l’éther en sera le support nécessaire puisque, selon les conceptions de son époque, aucune vibration ne peut se propager sans un support matériel. Le problème de l’influence du mouvement des corps matériels sur l’éther, celui de l’aberration des étoiles ne suffisent pas à faire douter de l’existence d’un tel support. Il faudra attendre la théorie électromagnétique de J.C.Maxwell pour que se forme la conviction que les vibrations lumineuses ne sont pas de nature mécanique et n’exigent donc pas l’existence d’un milieu élastique pour se propager.

Cependant l’interprétation strictement mécaniste permet à Fresnel d’exprimer les amplitudes de l’onde réfléchie et de l’onde transmise, qui correspondent à une onde incidente polarisée: ce sont les formules de Fresnel, dites des sinus et des tangentes, qui ont gardé toute leur valeur, malgré l’abandon de l’éther en tant que substance vibrante.

À la suite d’une expérience d’Arago, destinée à mettre en évidence l’influence du déplacement de la Terre sur la réfraction de la lumière émise par une étoile et reçue dans un prisme, et qui s’était révélée négative, Fresnel émet la théorie que "notre globe imprime son mouvement à l’éther dont il est enveloppé". Mais, selon cette hypothèse, l’aberration des étoiles demeure inexplicable.

Faut-il alors en revenir à l’hypothèse d’un éther immobile? Fresnel adopte une solution de compromis et suppose que "l’éther passe librement au travers du globe et que la vitesse communiquée à ce fluide subtil n’est qu’une petite partie de celle de la Terre"; il calcule – d’une manière assez obscure – que, si un milieu transparent d’indice de réfraction n est en mouvement, les ondes lumineuses sont affectées d’un coefficient d’entraînement égal à 1-(1/n2); résultat qui sera vérifié plus tard par les expériences de Hippolyte Fizeau (1819-1896), sur la mesure de la vitesse de la lumière dans un courant d’eau. La relativité marquera l’abandon des théories de l’éther.

La surface d’onde des cristaux bi-axes

La découverte de la biréfringence du verre comprimé, l’interprétation cinématique de la polarisation rotatoire, la généralisation de la construction de Huygens, établie dans le cas des cristaux uni-axes (la surface d’onde se compose alors d’une sphère et d’un ellipsoïde de révolution) figurent parmi les derniers travaux de Fresnel. Suivant une démarche plus intuitive que rigoureuse, il avance l’idée que, pour les cristaux bi-axes, l’équation de la surface d’onde est du quatrième degré.

D’abord discutée, l’intuition de Fresnel trouvera sa première justification dans le résultat établi par les calculs de sir William Rowan Hamilton (1805-1865), à savoir que la surface d’onde, telle qu’elle avait été proposée par Fresnel, devait présenter quatre points coniques; le physicien irlandais H.Lloyd, peu après (1833), observait, effectivement, les phénomènes de réfraction correspondant à ces points singuliers.

(CD Encyclopædia Universalis France, 1995).

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Mis à jour le: 11/02/04